vendredi 3 juin 2016

lecture rencontre Eugène Savitzkaya

LA MIEL ET LA BIBLIOTHÈQUE ANGLOPHONE ACCUEILLENT

EUGÈNE SAVITZKAYA

JEUDI 12 MAI 2016 A 19 HEURES

A LA BIBLIOTHÈQUE ANGLOPHONE D'ANGERS





  
Eugène Savitzkaya : tracer la chair du monde

« Je renonce à la saveur immédiate, au miel,
au sucre, au vin. Sous le cerisier, je persiste.
Sous le prunier, je meurs. Que la levure soit
ma dernière nourriture avec le lait dont mon
corps est gorgé. Je suis le roi du fumier, hur-
rah ! »[1]

Eugène Savitzkaya est de ceux qui « avant MichonBergounioux ou Echenoz, (…)  a inventé notre littérature contemporaine. » (Johan Faerber[2]).
Des terres limoneuses de l'Hesbaye, en moyenne Belgique, où il a vécu sa jeunesse, est née une écriture organique, épaisse, putrescible. Dans cette campagne charnelle, l’adulte nous conte l’adolescent qu’il fut là-bas, menant son parcours initiatique à travers vergers, champs et bois…cheminement d’où sourd une nature généreuse, fruit d’un été solaire, alors qu’exhalent les odeurs de fumiers, de citernes, de foins…et que sa mère, dans la chambre de la maison familiale, est en train de quitter ce monde. (voir « Mentir », « Fraudeur »[3])

« Si je pense à ce qu’était mon enfance, j’ai des souvenirs de pourriture, d’immobilité. La plupart des souvenirs qui me restent ne sont pas très agréable, pourtant je sentais que j’avais une grande force, que j’existais très fort. Quand je jouais, c’était toujours seul. Je n’avais besoin d’aucun matériel particulier, je vivais des aventures constamment, des aventures minuscules…. »[4]

Comme il le dit lui-même, ses livres naissent la plupart du temps « des activités diverses de [ses] journées, d’une sorte de tamisage du quotidien [5]». Le récit se construit, petit à petit par bribes, assemblage de briques comme les acides aminés composent l’ADN humain et codent l’individu, son récit, son destin sans doute. Les phrases auront été au préalable scandées : l’écrivain est grand amateur de poésie sonore, mais aussi de Tarkos, Stefan…et aime à rappeler que lorsqu’il commença à écrire, il avait grand plaisir à dire à voix haute ses textes écrits parfois la veille. Cette musicalité première, avant que l’écriture ne déforme la première inscription, les premières phrases, le premier rythme est toujours sonore[6]. Ainsi dans ses deux recueils « Bufo, bufo, bufo » et « Cochon farci »[7], les mots s’amalgament  ou s’égrènent, et le paysage s’installe dans une matière justement vibrante, mouvante.

Si j’avais de l’appétit, écarlate, éternuant,
je mangerais l’ogre qui dort dans ma maison,
qui remue, troue les cloisons, éclabousse, cœur,
quartier de bête, taureau qui dévore mes fleurs,
déplaçant le soleil, de boue, d’ordures rempli,
de parfum chargé qui suce les os, qui bavarde,
qui montre dans le printemps, dans la nuit, ses dents
et sa poitrine, qui mélange le farines, les essences
(…) [8]

Mais avec « A la cyprine », son dernier recueil paru[9], les poèmes se font presque chansonnettes, aventures linguistiques, mais simples. « Je clos un recueil, quand l’écriture change radicalement, ou commence à changer. »[10]… On le voit, Eugène Savitzkaya continue d’inventer notre littérature.

                                                                                                                Alain Chiron




[1] in « L’été : papillons, ortie, citrons et mouches », La Cécilia,1991,  p.31
[2] critique et universitaire, spécialiste notamment du "nouveau roman " ; article paru dans Médiapart, 25 février 2015
[3] Editions de Minuit, 1977 et 2015
[4] Cité par le site www.waremme.be, à l’occasion d’une rencontre littéraire à la bibliothèque Pierre Perret, 29 avril 2016
[5] Citation extraite de  La poésie buissonnière. Entretien de Frank Smith avec Eugène Savitzkaya, in Poé/tri 6 – 29 septembre 2013
[6] Voir l’entretien accordé et publié par la Librairie Mollat, 23 mai 2015 (vidéo disponible sur www.youtube.com)
[7] Respectivement publiés en 1986 et 1996 aux Editions de Minuit
[8] Extrait de « Bufo, bufo, bufo », ouvrage cité, p.42
[9] Editions de Minuit, 2015
[10] Entretien Librairie Mollat, déjà cité

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